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Même si les États-Unis devancent le Canada en ce qui concerne la sortie de la pandémie, ils pourraient bien être en retard sur leur voisin du Nord pour ce qui est de la normalisation de la politique monétaire. Comme je l’ai mentionné dans mon précédent article, ce retard serait alors moins dû aux différences de conjoncture économique entre les deux pays, et davantage à l’hétérodoxie qui commence à poindre parmi les banques centrales au sujet de l’inflation.
À la fin de l’été dernier, elle a adopté une approche de ciblage flexible de l’inflation moyenne dans le cadre de sa politique monétaire, ce qui signifie qu’elle peut tolérer pendant un certain temps une inflation supérieure aux objectifs fixés, si l’économie n’a pas encore atteint le plein emploi de façon durable, qui correspond à un taux de chômage d’environ 4 %. Il s’agit d’un changement important dans la politique de la Fed, qui inverse sa trajectoire établie 40 ans plus tôt, sous l’égide de Paul Volcker, qui était très attaché au fait de lutter contre l’inflation, même aux dépens – à court terme – du marché de l’emploi. Aujourd’hui, sous la direction de Jerome Powell, la Fed a clairement relégué au second plan les préoccupations liées à l’inflation, tout du moins jusqu’à ce que les données confirment que le plein emploi a non seulement été atteint, mais qu’il peut aussi se maintenir.
On peut déduire l’incidence de ce changement d’après le dernier diagramme publié par la Fed, qui montre que ses responsables prévoient un retour au plein emploi d’ici la fin de 2022, avec toutefois un maintien à zéro des taux des fonds fédéraux jusqu’à la fin de 2023. Cela pourrait laisser perplexes certains investisseurs habitués au côté proactif de la Fed, mais cette décision s’inscrit parfaitement dans le cadre de la nouvelle approche. On dirait bien que la Fed redoute de réduire son programme d’assouplissement quantitatif ou de relever ses taux de façon trop précoce, comme cela a été le cas lors de cycles précédents. Elle semble éviter tout aussi prudemment les signaux qui pourraient l’amener à envisager un resserrement de sa politique, et ce, jusqu’à l’atteinte du plein emploi.
Le marché compte actuellement sur une hausse des taux au premier semestre de 2023, voire à la fin de l’année 2022, mais il ne fait aucun doute que les responsables de la Fed seraient heureux de se tromper et de voir l’économie renouer plus tôt que prévu avec le plein emploi. Peut-être la Fed consentira-t-elle seulement à mettre un terme à ses mesures de relance et à relever ses taux lorsqu’elle arrivera à destination, mais cela ne se produira pas entretemps.
Que cela signifie-t-il du point de vue des perspectives de réduction des mesures de relance? La Fed semble vouloir faire preuve d’une grande transparence à l’égard du marché, une tâche pour le moins délicate quand on sait que celui-ci réagit à la moindre allusion à un possible changement. Il faudra du temps pour faire passer les achats d’obligations de 120 milliards $ par mois à zéro. La dernière fois que la Fed a entrepris de resserrer son programme d’assouplissement quantitatif, en 2013, elle a réduit ses achats à raison de 10 milliards $ par mois. À ce rythme, il lui faudrait un an pour faire retomber son dispositif d’assouplissement quantitatif à zéro. Si l’on combine toutes ces informations, on peut établir un calendrier hypothétique.
Présumons qu’une hausse des taux aura lieu au milieu de 2023, à mi-chemin entre les prévisions du marché et celles de la Fed. Celle-ci ayant annoncé qu’elle comptait mettre un terme à son programme d’assouplissement quantitatif avant de relever ses taux, elle devra y parvenir avant 2023, car elle ne souhaitera probablement pas rehausser ses taux un mois seulement après avoir réduit ses achats à zéro. Si nous partons du principe qu’il lui faudra bel et bien un an pour réduire complètement son programme, elle devra en faire l’annonce au cours du second semestre de cette année. L’occasion pourrait se présenter lors du Symposium économique annuel de Jackson Hole, qui aura lieu à la mi-août, ou lors de la publication du rapport sur la politique monétaire de septembre de la Fed, qui coïncidera avec la réunion du Comité de politique monétaire de la Réserve fédérale, à la fin du mois de septembre.
On voit donc que la Banque du Canada et la Réserve fédérale abordent chacune le problème différemment. Pour la Banque du Canada, les données économiques suggèrent qu’un programme audacieux d’assouplissement quantitatif n’est probablement plus de rigueur, voire qu’il pourrait devenir préoccupant. Par ailleurs, vu qu’elle continue d’agir selon le dogme des banques centrales – à savoir s’efforcer de façon proactive de juguler l’inflation supérieure à la cible établie – il paraît logique qu’elle limite rapidement son programme d’assouplissement quantitatif et qu’elle avance ses prévisions quant à une hausse des taux d’intérêt.
À l’inverse, la Fed pourrait attendre que l’année soit plus avancée avant de se prononcer sur une réduction de son dispositif d’assouplissement quantitatif et elle pourrait attendre la fin de cette année ou le début de la suivante pour entamer ce processus. Elle pourrait relever ses taux avant 2024 – peut-être même bien plus tôt –, mais il paraît peu probable que sa rhétorique change d’ici là. Les responsables de la Fed seraient heureux de se tromper et de devoir réduire plus tôt que prévu leurs mesures de relance, mais cela ne se produira que si ou lorsque l’objectif du plein emploi est atteint, ou tout du moins clairement en vue.
Ce dernier point est crucial, non pas seulement parce qu’il montre la différence de trajectoire tracée par la Fed et par la Banque du Canada, mais aussi parce qu’il illustre les répercussions importantes du changement d’approche de la part de la Fed au profit d’un ciblage de l’inflation moyenne. Quelques trimestres seulement après avoir mis en œuvre ce nouveau régime, les responsables de la Fed refusent catégoriquement de le modifier. La Réserve fédérale américaine ne risquera pas de perdre sa crédibilité en infléchissant sa course si peu de temps après avoir adopté un cadre considérablement différent.
David Stonehouse est vice-président principal et chef des investissements nord-américains et spécialisés à Placements AGF Inc. Il contribue régulièrement à Perspectives AGF.
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