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Surréalisme dans la matrice des banques centrales

Publié le 07-19-2021

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Prenez la pilule bleue pour prospérer dans un monde d’illusions

 

Dans le monde des banques centrales, où la mystique et la réserve oraculaire sont une forme d’art bien maîtrisée, la conférence de presse de la Fed du 16 juin a étonné par son ton franc et direct. Au lieu de ses pirouettes verbales habituelles, le président du conseil, M. Powell, a été franc, il a dit : « Je suis convaincu que nous sommes sur la voie d’un marché du travail très solide… caractérisé par un faible taux de chômage, un fort taux de participation et une augmentation généralisée des salaires. » Aucune explication n’est nécessaire cette fois-ci. La Fed est de plus en plus optimiste à l’égard des perspectives économiques.

Pourtant, le message que M. Powell a adressé au marché a été traité avec autant de soin et de délicatesse qu’à l’habitude (un peu comme une biche traiterait son faon). Les membres du FOMC ont quelque peu rajusté leurs perspectives de normalisation des taux d’intérêt et devancé la date prévue de deux petites hausses de taux de 2024 à 2023. M. Powell a également dit aux journalistes que le comité a « envisagé la possibilité d’ouvrir le dialogue sur le retrait graduel des mesures d’AQ ». Les mesures d’AQ se chiffrent toujours à quelque 120 milliards de dollars par mois.

Autrefois, ces conférences de presse rassemblaient les investisseurs autour du bol à punch. Cette fois-ci, autre signe de l’absurdité qui règne en ce moment, le commentariat d’investissement s’est précipité pour qualifier la situation de « choc belliciste » et les marchés ont réagi violemment. Les opérations de reflation, qui avaient véritablement débuté en octobre dernier, se sont vite dissipées. Les placements fondés sur l’analyse technique sont repartis de plus belle, stimulés par la baisse des taux à plus long terme. Les soi-disant « pentificateurs de courbe » ont été écrasés. Les mordus de l’investissement, comme nous (il faut l’avouer) qui passent beaucoup trop de temps à étudier la forme de la courbe des taux, ont été surpris par l’ampleur du repli du marché obligataire : les bons du Trésor à cinq ans ont enregistré leur quatrième pire séance négative des 80 réunions du FOMC depuis 2011.¹

Surréalisme des banques centrales

Surréalisme des banques centrales Qu’adviendra-t-il? La question est de savoir si les autorités monétaires pourront jamais sortir d’une période prolongée de mesures de relance d’urgence, mais aussi si elles parviendront à éviter un « taper tantrum » semblable à celui de 2013.

Tout le monde sait que les dirigeants des banques centrales sont victimes de leur succès et qu’ils sont les principaux responsables de la hausse des prix des actifs. Ils ont également réussi à donner naissance à ce que mon érudit collègue Wilfred Hahn appelle une « ère de surréalisme », en ce sens que les décideurs peuvent altérer la façon dont le monde est perçu en changeant les perspectives des marchés et en introduisant de nouvelles réalités. Ou, si vous préférez une métaphore du film La Matrice, les dirigeants des banques centrales prescrivent désormais volontiers des pilules bleues pour prospérer dans un monde d’illusions. Et les investisseurs ne se sont pas fait prier pour les avaler.

À certains égards, cela n’a rien de nouveau. Le mandat de la banque centrale a toujours été de rassurer les investisseurs. Le travail des dirigeants des banques centrales consiste à compiler une tempête de données et à en faire une histoire captivante en nous disant qu’ils ont une vision claire et panoramique de ce qui nous attend. Or, cet art de nous rassurer a atteint de nouveaux sommets dans l’après-crise. Ce n’est pas parce qu’ils ont recruté des rédacteurs de discours encore plus convaincants. Cela découle plutôt du lien tacite et symbiotique qui unit les banques centrales et les marchés. Aujourd’hui, tout le monde comprend les règles du jeu. Mon collègue Hahn en conclut que « le surréalisme est désormais un instrument de politique monétaire autant accepté que nécessaire ».

La réalité est que les banques centrales sont devenues des créatures des marchés financiers, plutôt que de simples intendants de l’économie réelle. Est-ce une bonne chose? Bien sûr que non. Les tentatives visant à amortir la volatilité finissent toujours par créer de l’instabilité. Le défi est que les marchés, qui dépendent désormais d’un apport constant de mesures de relance monétaires, perçoivent les bonnes nouvelles fondamentales comme de mauvaises nouvelles pour la politique monétaire… ce qui signifie que les mauvaises nouvelles sont de bonnes nouvelles pour les marchés (vous me suivez?).

Peut-on avoir le taper (retrait graduel) sans le tantrum (réaction de panique des marchés)?

Parviendrons-nous jamais à nous en sortir ? Après tout, lors de la dernière tentative de retrait graduel par M. Bernanke en mai 2013, les dommages collatéraux ont été considérables. Il faut dire que le contexte économique et d’investissement actuel est totalement différent. Pour commencer, le PIB américain en 2013 n’était que de 2,6 %. Comparez cela avec les données d’aujourd’hui : le taux de croissance économique est fulgurant. La Fed prévoit un taux de croissance du PIB de 7 % en 2021 et de 3,3 % en 2022. L’échéancier de retour à une politique monétaire normale a été raccourci parce que l’économie progresse rapidement vers les objectifs de la Fed. Comme la croissance est plus forte, les marchés sont beaucoup moins vulnérables à un « taper tantrum ». Graduellement, une bonne nouvelle pourra être accueillie en tant que telle.

En fait, la reprise actuelle ne ressemble à aucune autre de l’histoire de la finance moderne et elle surprend les économistes et les autorités monétaires par sa vigueur. Les dommages infligés aux finances des ménages et aux institutions financières après le krach immobilier de 2007 ont entraîné un désendettement et une diminution de la demande qui ont nui à l’économie pendant des années. En revanche, les consommateurs disposent désormais de milliers de milliards de dollars d’épargne supplémentaire et le service de la dette des ménages n’a pas été aussi bas depuis 1980. Qui plus est, l’élan des marchés et la confiance des investisseurs se renforcent grâce à la rapidité de la vaccination. Comme les taux de croissance sont parmi les plus élevés depuis des décennies, pourquoi la Fed n’augmenterait-elle pas ses taux d’ici la fin de 2023?

Un dollar américain plus faible favoriserait les marchés émergents

Qu’en est-il du reste du monde? Les marchés émergents ont été les plus durement touchés en 2013 en raison des sorties de capitaux qui ont perduré pendant des années. Là encore, la situation est entièrement différente. Le premier épisode de retrait graduel a engendré une appréciation du dollar américain qui a duré plusieurs années et atteint son point culminant à la fin de 2016. C’est cette appréciation soutenue du dollar, plutôt que la brève flambée des taux d’intérêt, qui a causé le plus de tort aux marchés émergents. L’envolée du dollar a aussi contribué à l’effondrement des prix des matières premières, ce qui a donné un double coup dur aux pays émergents riches en ressources.

Il est très peu probable qu’on revive ce genre de situation. En 2013, le dollar américain sortait tout juste d’un marché baissier qui avait duré une décennie. La devise était mal aimée, délaissée et prête à amorcer une remontée de plusieurs années. Le retrait graduel n’a été que le catalyseur.

Aujourd’hui, de puissantes forces sous-jacentes favorisent un dollar américain plus faible (notre principal expert en devises, David Kletz, anticipe une dépréciation séculaire du billet vert, surtout par rapport aux devises des marchés émergents). Aussi, en 2013, les prix des matières premières venaient de terminer un « super cycle » et étaient vulnérables à une correction pluriannuelle. Aujourd’hui, les prix des matières premières, bien que beaucoup plus élevés que pendant le creux atteint l’année dernière lorsque la Covid a frappé, restent profondément déprimés par rapport à la moyenne historique.

Le dernier élément qui différencie les deux périodes est le positionnement sur les marchés. En 2013, les personnes chargées de la répartition de l’actif à l’échelle mondiale étaient optimistes quant aux perspectives des marchés émergents, car leurs bourses se négociaient à des ratios similaires à ceux des marchés industrialisés. Les rentrées de capitaux étaient abondantes. Aujourd’hui, les actions des marchés émergents se négocient à fort escompte par rapport à celles des marchés occidentaux et demeurent somme toute délaissées (malgré un furtif soubresaut de bons rendements au cours de la dernière année). Tout cela nous porte à croire qu’une crise des marchés émergents semblable à celle de 2013 est très peu probable.

Qu’en est-il de l’éléphant dans la pièce que sont les marchés émergents? Oubliez le G7, qui à un moment donné regroupait les plus grands pays du monde (ce qui n’est plus le cas, car la part du PIB mondial que représente ce groupe est passé de plus de 50 % en 1975 à moins de 30 % aujourd’hui) et la plupart des pays industrialisés (ce qui n’est plus vrai non plus, car le secteur manufacturier des pays comme Taïwan et la Corée du Sud représente un pourcentage beaucoup plus élevé du PIB mondial). Désormais, c’est la Chine, de par son gigantisme et son énorme apport à la croissance mondiale, qu’il faudra surveiller de plus en plus.

Ici, on note une différence flagrante depuis le début de la pandémie : Beijing a amorcé la normalisation de ses politiques macroéconomiques presque aussitôt que l’économie s’est redressée, après l’interruption soudaine des activités induite par la Covid en 2020. Le resserrement des conditions de crédit en Chine contraste vivement avec les autres grandes puissances économiques, dont les politiques demeurent ultra-accommodantes. La probabilité que les actifs chinois, bien qu’hypersensibles aux politiques monétaires, réagissent très mal au retrait graduel des mesures d’AQ de la Fed est faible simplement parce que la politique monétaire chinoise est déjà restrictive depuis un certain temps.

Des politiques monétaires aux politiques budgétaires

Il y a une dernière différence cruciale qui plaide en faveur d’une réaction plus modérée au prochain retrait graduel des mesures d’AQ : la politique monétaire n’est plus le seul facteur à prendre en considération. Dans la période post-2008, les gouvernements mondiaux ont refusé catégoriquement d’avoir recours à des mesures budgétaires musclées. Le désendettement, l’austérité et l’équilibre budgétaire avaient la cote. Les autorités monétaires ont été contraintes de porter l’odieux de leurs politiques; elles sont devenues, bien malgré elles, les évangélistes de la relance budgétaire mondiale.

Cela étant dit, la pandémie a été un point de rupture révolutionnaire. Le dénigrement des déficits et l’austérité sont désormais choses du passé. Les mesures de relance budgétaires et l’économie sous « forte pression », où les autorités monétaires cherchent à pousser la croissance du PIB au-delà de son potentiel et le chômage en deçà de son taux naturel, sont de retour (cliquez ici pour avoir plus d’informations à ce sujet). Fondamentalement, les poussées budgétaires ont un plus gros impact que les mesures de relance monétaires. Les effets de transmission des poussées budgétaires sont beaucoup plus directs; ils stimulent à la fois la consommation, l’investissement et la liquidité. Grâce à elles, plus d’argent entre immédiatement en circulation.

Les investisseurs pourront débattre de l’ampleur et de l’efficacité des dépenses publiques, mais ces questions peuvent attendre. L’histoire nous a appris que les politiques monétaires et budgétaires expansionnistes peuvent « fonctionner » pendant un certain temps avant de devenir problématiques. Par exemple, il a fallu près de 20 ans pour que la période keynésienne d’après-guerre provoque des problèmes d’inflation. Les investisseurs ne doivent pas perdre de vue le changement de régime qui est en train de se produire. Ce changement entraînera une plus forte croissance et un taux d’inflation légèrement plus élevé. La normalisation de la politique monétaire devient beaucoup plus facile à mettre en œuvre dans ces circonstances.

Retombées sur les placements

Avant la conférence de presse de M. Powell la semaine dernière, les caractéristiques techniques des marchés et la confiance des investisseurs étaient gonflées à bloc. Les attentes et le positionnement ont changé considérablement par rapport au creux de mars 2020, au plus fort de la pandémie.

Les plus récentes statistiques sur les actifs des ménages montrent que les actions ont atteint un sommet record par rapport à la totalité de leurs actifs financiers (à 36,5 %, les fonds communs de placement et les actions représentent la plus forte proportion de l’actif depuis au moins 1952). Tous les avantages étaient réunis, y compris les liquidités, qui ont chuté à un maigre 3,9 % (d’après le plus récent sondage de la Bank of America auprès des gestionnaires de fonds). Les marchés étaient— et demeurent — vulnérables à une correction qui pourrait survenir dans un proche avenir.

Cependant, les investisseurs ne devraient pas parier sur un retour à la tendance de la semaine dernière, alors que les taux obligataires à long terme ont chuté et que les titres qui avaient dominé au chapitre du rendement, comme les valeurs technologiques, ont tenu le haut du pavé. Pourquoi? Parce que, fondamentalement, le message de la Fed n’a pas changé. En fait, c’est un autre signe qui marque la fin d’une période de stagnation séculaire. La Fed entend rester intentionnellement derrière la courbe. Les taux d’intérêt réels vont demeurer fortement négatifs dans la plupart des pays industrialisés. De plus, les opérations de reflation vont une fois de plus s’imposer. Ce n’est que le début d’un très long voyage.

1. Données de Mitsubishi UFJ Financial Group Inc.
2. Coup de chapeau à Sentimentrader.

Tyler Mordy, CFA, est président et chef des placements à Forstrong Global Asset Management Inc., impliqué dans la stratégie descendante, la politique de placement et la sélection de titres. Il se spécialise dans la stratégie de placement mondiale, la recherche et l'analyse. Cet article a été publié pour la première fois sur le blogue Global Thinking de Fortstrong. Utilisé avec permission. Vous pouvez joindre M. Mordy par téléphone à Forstrong Global, au 1-888-419-6715 (numéro sans frais), ou par courriel à tmordy@forstrong.com. Suivez Tyler Mordy sur Twitter à @TylerMordy et @ForstrongGlobal.

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